#INTERVIEW - Ancien entraineur d'Amiens, Luka Elsner m'a accordé une interview sur sa vision du football, ses inspirations dans le métier d'entraineur ainsi que son nouveau rôle de consultant sur Téléfoot la Chaîne.
Quel regard portez-vous sur le football français et vous identifiez-vous à une équipe en particulier ?
Je peux m’identifier dans les valeurs footballistiques de l'équipe de Galtier. Lille joue dans un style que j’affectionne beaucoup puisqu’il maitrise énormément de secteurs de jeu, notamment sur les transitions offensives. C’est une équipe qui dégage beaucoup de valeurs et qui a su garder un haut niveau de discipline en se renouvelant après avoir perdu des joueurs majeurs. Ils ont des principes qui donnent une personnalité à l’équipe et je suis très fan du style Galtier. Je regarde pas mal de matchs de Ligue 1. C’est un championnat qui fait partie du top 5 européen et probablement mondial. C’est un football avec ses caractéristiques propres, avec la possibilité pour les jeunes joueurs de s’exprimer, ce qui rend la ligue très attractive aux yeux du monde entier. Je trouve qu’on donne de belles possibilités de se développer aux jeunes, en plus d’avoir des équipes de haut niveau. Cela fait une belle combinaison pour avoir un football de qualité.
Gaël Kakuta, que vous avez connu à Amiens, réalise une belle saison. Vous attendiez-vous à le voir à ce niveau ?
Sincèrement, oui, parce que quiconque a pu voir Gaël à l’entrainement sait qu’il est un joueur de très haut niveau. C’est très facile après cinq minutes d’entrainement de voir qu’on a affaire à un joueur spécial. La seule question qui se pose concerne ses capacités physiques. Après une année un peu difficile en Espagne, il est venu à Amiens avec l’idée de se remettre en scelle et vu qu’il est aujourd’hui dans une équipe très performante, dans un rôle qui lui convient très bien, on voit le meilleur de lui. C’est un joueur qui illumine le jeu et qui trouve des passes que personne d’autre ne trouve. Je pense que le doute n’avait pas trop de place à partir du moment où il a repris la saison avec Lens.
Le match nul contre Paris (4-4) début 2020 est l’un de ses meilleurs matchs sous vos ordres. Quelle place ce match occupe-t-il dans votre carrière ? Est-ce un match référence ?
Non, c’est un match qui me reste en travers de la gorge du fait d’avoir mené 3-0. Je m’en voudrai un peu toute ma carrière de ne pas avoir su gérer ce score pour gagner. Mais avec un œil extérieur, avoir vécu un match comme celui-là laisse un bon souvenir. Cela a été un pourvoyeur d’émotions important et je pense que ceux qui regardent le football méritent d’avoir ce genre d’émotions durant un match. C’est pour cela que les gens viennent au stade et que les joueurs jouent au foot. Cela a été un bon moment, mais qui aurait pu être bien meilleur.
Vous avez pour inspirations Laurent Blanc et Pep Guardiola. Qu’est-ce qui vous attire ?
C’est ce jeu de position et avoir la réflexion suivante : comment, par l’occupation de l’espace, arrive-t-on à mettre l’adversaire en déséquilibre ? C’est une question qui m’était très chère il y a quelques années. J’y réfléchissais beaucoup et, arrivé au plus haut niveau, on se confronte aussi aux possibilités qu’on a, à la personnalité du championnat et à la modernisation du football. Cette notion de transition et d’occupation de l’espace a pris de plus en plus de place et aujourd’hui c'est le modèle qui m’intéresse le plus. Je pense que, dans tous les cas, une équipe compétitive doit être capable de maitriser tous les secteurs de jeu. Avoir des préférences, c’est avoir des faiblesses. Quand je travaille avec une équipe, j’essaye de faire en sorte que l’équipe maitrise tous les secteurs et soit compétitive dans chaque phase de jeu même si c’est évidemment impossible de tous les maitriser. J’aspire en tout cas à ne pas avoir trop de faiblesses.
Vous déclariez en 2019 après une victoire contre Lille : « Il faut parfois ne pas être beau, ne pas être romantique, juste efficace ». De manière générale, préférez-vous plutôt le résultat ou le contenu d’un match ?
Je pense qu’il n’y a qu’une réponse à donner : le résultat. Car c’est le métronome de la performance et c’est ce qui conditionne le reste. Sans résultat, l’esthétique sera mise en second plan et la capacité d’un entraineur à gérer son groupe et à lui faire croire à un projet est conditionnée à la victoire. Je pose la performance pure en priorité comme le font, je pense, tous les entraineurs même si certains aiment exposer médiatiquement cette notion poétique du football. La réalité est celle du résultat. Maintenant, on peut aussi dire que le football de qualité amène la capacité à gagner plus souvent.
Amiens était souvent considérée comme une équipe agréable la saison dernière malgré les résultats négatifs. Le « beau jeu » est-il limité ?
Le beau jeu a définitivement des limites et en tant qu’entraineur, nous y sommes confrontés. Il y a une image qui se crée sur ce qu’on a construit avec Amiens mais cela n’a pas toujours été du beau jeu. Il y a eu des matchs où nous aurions dû produire des choses intéressantes pour avoir un résultat mais nous ne les avons pas produites. Mais quand la qualité du jeu est au rendez-vous, cela se passe généralement bien. Cela dépend par quelle phase car on peut produire du très beau football en allant vers le but en deux-trois passes ou en trente. Que considère-t-on être du « beau jeu » ? Généralement, le beau jeu est lié à une production offensive, à une capacité de l’équipe à déséquilibrer l’adversaire, mais il y a plein de manières de penser le football et de voir la beauté du football. Si on regarde Burnley, ils peuvent jouer des matchs intéressants par du jeu très direct et malgré les résultats, quand on demandera à leur public s’ils en sont satisfaits, ils répondront que oui car cela doit aussi faire partie de la culture du club. Le concept du beau jeu est un concept assez relatif.
Cette saison, Lens et Brest ressortent souvent parmi les équipes agréables à voir jouer et sont pourtant différentes dans l'utilisation du ballon et le système de jeu. Comment crée-t-on, selon vous, une équipe qui joue bien ?
Je pense qu’il est nécessaire d’avoir les joueurs pour le faire, c'est-à-dire des joueurs qui peuvent déséquilibrer l'adversaire par leur technique, leur vision du jeu, leur intelligence, et qui sont capables de créer des connections entre eux. Brest ou Lens sont des équipes qui gagnent et c’est pour ça qu’elles sont considérées comme des équipes qui produisent du jeu. Si tu es en bas du tableau, c’est plus compliqué de faire valoir cet argument stylistique. Mais je crois qu’un avantage important dans le fait de produire des choses est d’avoir des joueurs intelligents qui ont les capacités techniques leur permettant de faire valoir cette intelligence. Quand on a des joueurs qui réfléchissent, qui se posent des questions, qui se demandent comment déséquilibrer l’équipe adverse, on a presque l'impression d’avoir des entraineurs sur le terrain. C’est là où le jeu peut prendre une ampleur plus importante.
A Amiens, vous avez alterné le plus souvent entre le 4-2-3-1 et le 4-4-2. Quel dispositif affectionnez-vous le plus et pourquoi ?
Je ne me pose pas cette question sur le système. Je pense qu’il faut adapter les zones de fonctionnement selon le profil des joueurs. Que cela se fasse avec trois défenseurs, deux sentinelles, un numéro dix ou deux attaquants, l’objectif est vraiment d’optimiser la zone de fonctionnement du joueur et de l’adapter à l’adversaire. Mais je n’ai pas de système préférentiel puisque, jusqu’à maintenant, j’ai quasiment tout utilisé dans ma carrière et parfois sur de longues périodes. Cela dépend de ce que les joueurs sont capables de faire, de ce qu’ils ont l’habitude de faire et si cela correspond aux besoins d’optimiser l’effectif en présence. Je préfère fonctionner par idée générale et par principe sur des phases d’attaque et de défense plutôt que de m’enfermer dans un système. Le football est très dynamique et très complexe puisqu'il y a vingt-deux acteurs et, mine de rien, un espace de jeu assez important. Le squelette du système est assez rigide, je pense, pour parler de style de jeu.
A 38 ans, vous êtes un jeune entraineur. C’est rare que les jeunes entraineurs aient leur chance en France alors que c’est quelque chose de plus fréquent en Allemagne. Devrait-on faire de même en France ?
Je pense que ce n’est jamais une question d’âge. C’est une question de compétences et, culturellement, en France, il y eu une primauté à l’expérience. Mais je pense que le football est en train de changer et que les opportunités pour les entraineurs plus jeunes sont en train d’arriver. Je pense que ce n’est pas une mauvaise chose mais qu’il faut aussi absolument garder l’expérience qu’apportent les entraineurs avec beaucoup de vécu. Les jeunes entraineurs peuvent apprendre d'eux, il n’y a pas de volonté de séparer les jeunes et les vieux. Dans un effectif tu regardes qui est performant sans regarder l’âge et c’est aussi le cas pour les entraineurs.
Vous suivez le championnat allemand et vous parlez allemand. En quoi vous sentez-vous proche du football allemand ?
Ce qui m’intéresse dans le football est la notion d’intensité. Il y a énormément d’intensité dans leur jeu notamment dans le pressing, ce que j’affectionne plutôt. J’aime cette notion de récupération et de projection rapides dans le football moderne. C’est quelque chose qui m’a inspiré, j’ai cette tendance à avoir cette discipline dans l’organisation du jeu. C’est un modèle qui est intéressant mais je ne pense pas être le seul à voir des choses plaisantes dans le football allemand. Les simples résultats du Bayern et la qualité d’équipes comme Leipzig ou le Borussia Mönchengladbach montrent que c’est un football qui produit des choses intéressantes. C’est un football parmi d’autres qui peut inspirer par certaines phases de jeu.
Vous êtes récemment devenu consultant pour la chaîne Téléfoot. Qu’aimez-vous dans ce rôle et en quoi cela peut-il être utile dans votre métier ?
Pour moi, il y a deux choses qui me sont utiles. D’abord, c’est le fait de voir les matchs car j’ai l’opportunité de me rendre au stade et dans la période actuelle c’est quelque chose de très intéressant. La deuxième chose, c'est le fait d'apprendre à parler sous pression. Il ne faut pas se tromper, il faut réfléchir à ce qu’on va dire et bien résumer. C’est un apprentissage assez intéressant car es entraineurs ont tendance à déborder un peu dans leurs causeries ou les discours d’avant-match. Là il faut vraiment être très concis et ressortir la quintessence de ce qu’on veut dire. C’est un exercice difficile mais qui va beaucoup me servir.
En faisant d’autres choses, il y a parfois le risque de s’éloigner trop longtemps des terrains. Avez-vous la volonté de retrouver rapidement un banc ?
J’ai dit dès le premier jour que j’avais envie de remettre les pieds sur un terrain. Travailler avec la chaine Téléfoot me permet d’être proche des terrains et c’est ce qui m’intéresse le plus. Je souhaite revenir à mon métier de cœur et j’espère que cela arrivera le plus vite possible. J’essaie de me mettre dans d’autres expériences pour en tirer quelque chose mais il y a une volonté absolue de ma part de rechausser les crampons et de reprendre le sifflet à la main le plus vite possible.
Je remercie Luka Elsner pour sa gentillesse et sa disponibilité.
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